News de Bob 004

  1. Puce Extrait de " Brutux ", le début du troisième Bob Morane par Brice Tarvel :


Matelassée d’une neige fraîchement tombée qui n’avait pas encore été pelletée, la rue Sainte-Ursule semblait épargnée par la nuit. D’autant que de nombreux lampadaires brillaient çà et là et que les vitrines et fenêtres alentour, éclairées elles aussi, étaient comme des invites à venir se réfugier au chaud. Car il faisait froid, crissement frette, comme on dit dans la Belle Province.

Les clients étaient nombreux sous la somptueuse verrière de la salle du restaurant le Saint-Amour, mais deux hommes attiraient plus particulièrement l’attention. L’un était un colosse roux à la poitrine large comme celle d’un orignal, avec des mains aussi imposantes que les bois aplatis de cet animal, et on le voyait se servir des verres de whisky plus que de raison, alors que les autres occupants de la vaste pièce, son compagnon mis à part, attaquaient déjà le plat principal. Ledit compagnon buvait avec davantage de prudence. Si sa taille était quelque peu inférieure à celle de son vis-à-vis, ce n’en était pas moins un grand gaillard athlétique et, ce que l’on retenait en priorité de son physique, c’étaient ses yeux gris dans lesquels se devinait une énergie à toute épreuve et une volonté de fer.

— Croyez qu’il va finir par apparaître, ce mystérieux Fulvien Larouche, commandant ? Fulvien, c’est un nom de baptême à coucher dehors et, par la température qu’il fait, s’il pique un roupillon sur un banc, il doit être congelé depuis longtemps.

— Je crois que le voilà, répondit Bob Morane, le sportif aux yeux d’acier.

D’un geste du menton, il désignait un petit homme rondouillard qui venait de pénétrer dans le restaurant. Un serveur était en train de le débarrasser de sa toque et de son manteau en castor. Quand ce fut fait, il essuya les verres embués de ses lunettes à grosse monture, puis se dirigea d’un pas assuré vers la table de Morane et de Bill Ballantine, l’ami écossais à la chevelure de feu.

— Pas trop tôt, chuchota le géant après avoir séché un fond de whisky. Je commençais à avoir sérieusement la dent. Encore faut-il que ce quidam ne nous annonce pas quelque chose qui va nous couper l’appétit.

Le nouveau venu se présenta, tendit une main encore un peu moite d’avoir séjourné dans une confortable moufle. Le shake-hand — ainsi qu’évitent de dire les francophones québécois — échangé avec Bill ne dut pas trop lui plaire, car l’Écossais lui broya les phalanges comme pour en faire un fagot. Toujours est-il qu’il s’agissait bien du Fulvien Larouche tant attendu, agent du SCRS, Service canadien du renseignement de sécurité.

— J’appartiens à la Cellule X, précisa le fonctionnaire, qui travaille en toute discrétion sur les affaires exceptionnelles pouvant particulièrement nuire à la sûreté du pays.

Il buvait de l’eau, ce qui, pour Ballantine, était la preuve d’un mauvais goût parfait. Quand arriva le consommé de bœuf Highland parfumé au gingembre, il poursuivit :

— Je vous ai raté de peu à Montréal où, m’a-t-on informé, vous aviez rendez-vous avec une certaine Sophia Paramount.